Si les fantômes apparaissent plus aux malades et aux agonisants qu’à la plupart des mortels, explique l’un des personnages des Frères Karamazov de Dostoïevski, ce n’est pas tant qu’ils sont délirants que parce qu’étant à la frontière entre la vie et la mort, ces personnes ont la vision des âmes qui vivent dans l’au-delà. L’artiste capte des images qui le hantent tels des spectres d’un passé qui ne veut pas mourir. Passé, présent, futur ne sont peut-être qu’une seule étoffe qui constitue la matière du rêve cosmique où nous sommes tous plongés. Patrice de Santa Coloma habite plusieurs mondes. Avant de s’installer à Bordeaux, il a vécu en plusieurs endroits du globe, l’Argentine pays de son père, où il est né et où il passe une partie de son enfance, puis Paris avant l’Angleterre où il fait ses études. De la Grèce à la Chine il voyage, traverse les cultures comme les continents. C’est un visuel qui se nourrit de lectures – la littérature de l’imaginaire, l’univers SF, les fictions borgésiennes, notamment le roman à l’inquiétude métaphysique Le tunnel d’Ernesto Sábato, l’inspirent. Plus que la fixation d’un réel que prétend restituer l’œil photographique, ce qui intéresse Patrice de Santa Coloma est la traduction du miroitement des couleurs du sensible. Molles roches proches d’un Henry Moore, entrelacs surréalistes faisant écho à André Masson, sa peinture à travers des formes à la fois abstraites et organiques et un chromatisme mêlant l’onirique au végétal exprime cette vibration du singulier malgré l’éternel retour des saisons et la banalité du quotidien. Dans la série Diplopies, composées de diptyques, le peintre recopie son propre tableau, dans l’apparente répétition c’est l’infinie variation d’un même thème qui change au prisme d’un moi en perpétuelle évolution.
Qu’il utilise l’huile, le fusain, le pastel, ou des supports aussi divers que des cantines en céramique avec dessins à l’englobe (Cada día), son geste est d’un lyrisme silencieux. La touche chez Patrice de Santa Coloma devient trace discrète, comme un pas dans la neige, un froissement d’aile, une muette coulure.
L’ego se fond dans le décor. Et Patrice de Santa Coloma d’assumer le décoratif comme un Vuillard ou un Maurice Denis, ainsi de Je perds le nord une série à la délicatesse japonisante. Un tout récent tableau peint à la tempera revisite, entre figuration et abstraction, le Saint François d’Assise recevant les stigmates de Giotto. Seules demeurent les auréoles du saint et du Christ et les rayons représentant la force spirituelle qui marquent les mains, les pieds et le flanc du Poverello. Plus de visages ni quasi plus de corps, ils n’ont pas disparu, mais tous deux sont enveloppés par une aura de lumière. Pour reprendre une image néo-platonicienne, ce n’est plus l’âme qui est dans le corps mais l’inverse. Les images fantômes de Patrice de Santa Coloma débordent la représentation même.
Sean Rose
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