Ca démarrait comme dans une nouvelle de Hunter S. Thompson.
Au petit matin d’un dimanche nous avions chargé le coffre de la trois portes avec la patte avant droite du cheval du général San Martín, les ballerines des danseuses de Degas, des boites de cigarillos cubains, des regards croisés entre Bruxelles et Bordeaux couchés sur de la Fuji 120 (River Banks), des peintures huileuses sur papier dans la plus pure tradition flamande de la frituur. Une grande enjambée de presque 1000 km nous attendait. Nous avions prévu avec Fedora et Jonathan de faire une halte quelque part vers Chambord pour rejoindre à déjeuner Romain dit “Dédé la Semoule” et évoquer avec lui ses récits héraldiques de quêtes amoureuses du samedi soir au Macumba local.
Jonathan avalait les kilomètres comme de la triple gueuze alambiquée, sans détours mais lentement. Cette lenteur de celui qui arrive sûrement. Sur les aires d’autoroute on s’arrêtait pour fumer des clopes et se dégourdir les jambes. Je demandais à plusieurs reprises si il voulait que je prenne le volant. Il disait “ça va, ça va…” Pour meubler il y avait France Musique, France Culture et FIP. L’envie de changer de station nous venait presque à tous en même temps. Une émission sur Rodin et sa porte de l’enfer, un concert de Shostakovich, les points route sur FIP. Les résultats du premier tour de l’élection présidentielle une heure avant la France.
Nous nous sentions libres, lui rompant ses attaches avec Bordeaux, moi avec une envie subite d’aller déguster un pistolet américain au Suisse et revisiter le mythique Pablo Disco Bar où j’avais tant rigolé dans le temps. Jonathan voulait m’emmener à Ixelles et Saint-Gilles pour quelques cuvées dignes des meilleurs trappistes.
Dans le temps je me me suis souvenu d’un sales kick-off à Grimbergen. Le souvenir n’était pas très net. J’avais été aussi rendre visite à la galerie 51 d’Anvers avec des tirages argentiques barytés virés à l’or et au sélénium. Le type m’avait dit : c’est tout ce que vous m’amenez ? Il y avait le travail d’une période de 5 ans en 10 tirages. Ca ne suffisait visiblement pas, ça ne suffit jamais assez… Pendant ce séjour mon fils avait failli faire un œdème de Quincke après une ingestion massive de cacahuètes. J’avais épongé ma terreur de le perdre en buvant 2 pintes cul sec dans le bar sordide de l’hôtel. Sa mère et lui ayant opté pour un sommeil réparateur proche du coma. Ma découverte aussi du jardin botanique pas loin des urgences de l’hôpital m’avait donné envie d’y retourner.
On a sonné 15mn avant que Romain émerge de sa cuite du samedi soir et nous ouvre sa porte. On est pas restés très longtemps, nous sommes repartis avec encore beaucoup de route à faire.
A Bruxelles nous sommes arrivés très tard dans la nuit, nous étions affamés, on a fait halte dans un chinois pour acheter des nems et de la Tsingtao. On s’est couchés ensuite épuisés.
Le Tournfluß VII était annoncé non sans une certaine appréhension. Je devais rencontrer Felisa Cereceda la petite fille de Violeta Parra qui allait chanter avec la belle Ylva Berg car le Tournfluß se déroulait chez elle rue de Bosnie à Saint-Gilles. Il y avait la complexité accrue de venir s’immiscer dans un lieu de vie. Disperser de l’étrangeté comme le poncho andin à l’encre de Chine, les ballerines roses en hommage à Degas de Christophe Massé, les pattes des chevaux du général San Martín et des rochers de la cordillère brillants sous les reflets de la lune australe. Elle et moi étions deux exilés à des milliers de kilomètres de chez nous. On a pas parlé en castillan, mais en français. Je n’osais pas par peur d’écorcher la langue que je pratique si peu. Elle m’a appelé Pato (canard). Très vite, nous étions amis et émus de nous trouver là.
Lente montée de la rue de Bosnie, accrochage à faire, il fallait travailler un peu. L’exposition a duré le temps de tout un week-end, concert de la Louve Heureuse. Gracias a la Vida…que me ha dado tanto. Felisa me dit que cette chanson représente toute la détresse de sa grand mère qui se suicidera peu de temps après l’avoir écrite. Gracias a la Vida, c’est aussi le titre que j’avais choisi pour l’exposition. Nous écoutons en silence au rythme de nos cœurs. Je voulais que Christophe puisse l’entendre aussi Sous la Tente à Bordeaux. L’exposition de nos œuvres est du coup passée au second plan. Je m’en fichait pas mal de mes petits bricolages. Nous étions tellement bien dans cet instant que le reste importait peu. Je garde de ces moments un souvenir inoubliable.
Merci à vous, Jonathan Vandenheuvel, Fedora, Felisa Cereceda, Ylva Berg et Christophe Massé.
Quelques visuels de l'exposition
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