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Couleur couleuvre, Saint Jean d'Ilac. Texte en regard de l'exposition Jungle au Jardin Botanique de Bordeaux

textes 2019

Je n’aurais pas du me retrouver là.

Pied, planche, clou. Sang sur mon alpargata bleue. La lumière. Les petits fragments se dispersent dans le flash de la douleur. Dans ma rétine des mélanges de rouges, de jaunes et du bleu aussi. Une trainée dans la mémoire comme le feu d’une étoile filante dans l’obscurité.

Le bruit incessant de la jungle peut rendre fou.

Le silence aussi.

J’entends les bêtes d’Horacio Quiroga qui me murmurent à l’oreille.

Ma jungle à moi, c’était à la maison. Une sangsue géante cachée dans l’oreiller aspirait sans relâche les sucs du cerveau de ma mère. Jours après jours elle perdait la raison. L’une se vidant de son sang l’autre se remplissant. On ne distinguait ni ses pattes, ni sa forme, juste un mouvement lent, lourd et sombre qui se déplaçait sous le drap blanc. La bouche entre-ouverte laissait s’échapper le souffle épuisé de la malade. Sur sa peau blanche et marbrée la sueur perlait. On pouvait entendre les bruits de succion du parasite qui se gavait sans relâche, sans pitié.

Je m’avance lentement dans la forêt. Je n’ai pas d’armes pour me défendre, je ne sais pas où je vais. J’avance c’est tout. L’obstination de la survie. Je disparais dans la densité des verts, dans l’éclat des peaux de serpents, dans le bruissement des feuilles. Tout se referme autour de moi et m’avale à jamais.

Saint Jean d’Ilac, mai 2020

 

En regard de l'exposition Jungle au Jardin Botanique de Bordeaux (2021)